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Bordée

Bordée Michel Tauziède
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Bordée

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Arrivées jusque là, vous posez vos joues de crêpe soyeux

sur la tendre palpitation de la terre.

Le sol susurre, à vos racines, des mots graminées

aux voyelles limoneuses et aux consonnes de terreau.

La brise donne effleurements à vos mouvements.

Vos coupes débordent de nectar et trinquent dans le vent.
Vous vous offrez, vous vous couchez

et vous vous abandonnez,

pesantes de pétales,

chargées de couleurs si lourdes à porter

que le cœur vous en tombe.

Vous vous contorsionnez pour aller plus loin,

voulant ignorer ce pied qui vous retient

et vous fixe dans l'immobilité convenue des pelouses.

Vous raclez, vous broutez, comme bétail, le sol.

Mille têtes de crépon végétal bisonnent la prairie,

échappée immense, paysage inaccessible

que seuls saupoudrent vos fronts chargés de pollen.

 

Les bulbes qui vous contiennent

se rêvent rhizomes pour fouiller le sol frais.

Vos tiges se voient lianes pour suspendre,

à la canopée des saisons,

une sarabande fébrile de fragrances.

Vos pétales sont papillons,

vos étamines, cerfs-volants.

 

Virevoltes de vents dans les sépales,

tournoiements de pistils et de soleils.

C'est un carambolage de couleurs

qui précipite nos sens

dans la bousculade odorante

d'une kyrielle de corolles exténuées

d'avoir tout pris à la lumière,

pour redonner Printemps à la Terre.

 

Bouquets, qui à force d'être trop fleurs,

s’alourdissent, se penchent et s'agenouillent

en bordure de massif. Vaincus.

Ici, point d'ébe, ni de replis.

Vous avez trébuché

sur les limites d'un territoire.

Vous vous êtes brisées

d'avoir rompu le rythme prémonitoire.

Vous avez fait d'un lieu donné

la brusque réalité d'un point de chute.

Aux volées foliacées ivres de frissons,

à l'envolée des calices qui ont bu tout l'espace,

répond déjà la silencieuse

et inévitable déliquescence,

nourrice de l'humus.

 

Vous allez glisser dans les strates matricielles

où d'obscures forces substantielles

redonnent formes à la matière.

Vous allez reprendre votre attirail,

gouaches, craies grasses et pastels,

tout le subterfuge tinctorial

fourbi dans vos caracoles bariolées

pour laisser Avril se dévêtir

et offrir, aux campagnes de l'été,

une saison de peau nue.

Magot, à nouveau enfoui,

vous resterez, dans les mémoires,

 ce trésor qui voulait être vu.

​

*

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