
Mise à feu


Illustration : assemblage de dessins d'Egon Schiele

Mise à feu
Mise à feu
Des corps fanés, asséchés, étales
et saisis dans le mouvement brûlant
de la gestuelle végétale
d'une fin d'été caniculaire.
Des corps perclus d'amour carnivore.
Des carcasses calcinées
dans un déséquilibre lumineux
où vacillent, avant que de s'éteindre,
les ultimes altérations de la pudeur.
Des âmes si fortes qu'elles désagrègent
ce qu'il reste de carnation à leurs vies.
Des âmes offertes dans un don si grand
que les formes se dissolvent
dans un absolu de sensualité.
Frères humains, qui portez avec familiarité
le cycle singulier des grandes turbulences,
tenez-vous là, plantés,
dans vos peaux rapiécées.
Tenez-vous dans le vent
et retenez le
par toutes les coutures
de vos corps sans fond.
Restez entiers, gardez vos places
dans cette frêle esquisse
où le peu de vous qui reste
se maintient rassemblé.
Démontés, bousculés, fractionnés.
Mais, c'est bien vous qui vous donnez à voir,
tantôt, dans une frugale répartie,
tantôt, dans une scénographie anthropophage.
Vous vous donnez à voir,
sous ces peaux effilochées, empêtrés
dans le châssis d'un triptyque carnassier.
Vous vous donnez à voir
avec vos corps détourés
qui ont englouti le paysage.
Vous vous donnez à voir
comme des mangeurs de bourrasques,
contorsionnés pour apercevoir
les folles perspectives de l'Absurde.
Vos esprits dépècent les carmins,
crochètent les ombres
et les retiennent jusque
sur l'étal incarnat des métamorphoses.
Peut-être, n'êtes-vous que des morceaux
arrachés aux barbelés des formes,
jetés en pâture au trop-plein
de vieilles mémoires ?
Vous êtes tendrement malhabiles
sous cette nudité qui vous habille,
vous cabosse et nous est chère.
Mais, au bout de cette lande de chair,
percluse de vague à l'âme,
une seule chose s'enflamme,
nous hypnotise et nous possède :
la soie cannibale et à jamais ensorcelée
du pinceau d'Egon Schiele.
*